Mini-Fic n°3

(NO) SEX, (NO) LIES AND VIDEOTAPE

 

Seul le ressac des vagues troublait le silence paisible de la plage. A l'horizon, le reflet de la lune parsemait le flux et le reflux de l'eau de cristaux argentés. Un paysage hors-norme, songea-t-il, à l'image de la petite blonde allongée en chien de fusil à ses côtés.

Pas un mot. Elle n'avait pas dit un seul mot depuis qu'elle était montée sur sa moto. Un simple « merci d'être venue me chercher » avant d'enfiler le casque qu'il lui tendait. Mais il y avait eu cette petite moue, ce plissement de lèvres qu'il avait débusqué et qui traduisait à lui seul la maîtrise de soi que cette simple phrase avait dû lui coûter. Contractant les poings, il s'était abstenu de tout commentaire malgré le feu qui avait embrasé son abdomen.

Au fil des kilomètres, il avait senti les bras se détendre peu à peu autour de ses reins, les mains agripper un peu plus le cuir noir.

Ignorer le frisson que ce simple geste avait engendré dans son corps, s'abstenir de se retourner.

Inutile qui plus est : leurs regards s'étaient accroché l'espace d'un instant dans le rétroviseur et il l'avait vue, perdant le contrôle à mesure que la tension s'échappait. Elle avait aussitôt détourné la tête, gênée. Elle détestait afficher ses failles, il ne le savait que trop, et elle tâchait une fois encore de lutter contre la faiblesse qui l'envahissait.

Réprimant un grognement, il s'était engouffré dans l'aile ouest de la ville. Elle n'avait pas riposté : ils savaient l'un comme l'autre qu'en l'état actuel des choses, rentrer chez elle n'était pas une solution.

En arrivant sur la plage, elle s'était immédiatement recroquevillée, plantant ses yeux dans la voie lactée pour éviter de croiser les siens. Elle devait s'attendre à ce qu'ils soient pleins d'interrogations. Elle avait tort : ils étaient pleins de haine.

Qu'est-ce que le gosse de riche lui avait encore fait ?

Il avait respecté son choix, laissant le mutisme rédempteur bander les plaies ensanglantées. Assis à quelques centimètres d'elle, sans jamais la toucher, il avait guetté sa respiration, soulagé à chaque fois que celle-ci s'apaisait davantage. Contrairement à sa propre rage, qui ne s'amenuisait pas. Il devait savoir. Mais il avait également conscience que, si elle percevait une once de sa colère, elle se fermerait telle une huître.

Prenant une grande inspiration, il se laissa choir sur le sable, plantant à son tour ses pupilles dans le ciel dégagé, voile noir parsemé de perles laiteuses.

- Merci.

Ne pas tourner la tête, même s'il pouvait sentir son souffle chaud caresser le lobe de son oreille, effleurer son cou, s'engouffrer insidieusement sous sa chemise.

- De rien, souffla-t-il, retenant un soupir. Y a-t-il une chance que la phrase « Je crois que je mérite une explication » me donne le sésame pour aller écrabouiller le nez refait d'Echolls ?

- Aucune.

Il perçut son sourire dans sa voix.

- Tout va bien Weevil, j'ai juste été ... surprise. Et de toute façon, même s'il m'avait fait quelque chose, ça ne te donnerait pas le droit de t'en mêler pour autant.

- C'est toi qui m'y as mêlé en me téléphonant à minuit passé.

Il fronça les sourcils. Il n'y avait pas encore songé : pourquoi l'avait-elle appelé, lui ? Fennel par exemple : il était systématiquement flanqué à ses basques au lycée, alors pourquoi ne pas avoir fait appel à son meilleur ami ? D'ailleurs, à bien y regarder, c'était toujours lui qu'elle appelait en situation périlleuse. Pourquoi ?

Il se retint de penser à la possibilité qu'elle pouvait lui faire confiance. Absurde. Pas après tout ce qui s'était passé avec Lilly, pas après qu'il l'ait utilisée pour récupérer une preuve compromettante.

Lilly...

A son souvenir, son poings se serra, emprisonnant une poignée de sable encore tiède. Echolls avait déjà blessé Lilly et maintenant il l'avait blessée, elle. Comment ?

Son corps se détendit à mesure que le sable glissait entre ses doigts. Sa résolution était prise : il découvrirait la vérité. Il la ferait éclater au grand jour, déchirant le masque séducteur du bâtard qui n'arrivait pas à la cheville de ces filles. Il le traînerait dans la boue jusqu'à ce que son sourire Colgate pourrisse. Et à ce moment-là, à ce moment-là seulement, lorsqu'il s'étoufferait dans sa propre fiente, il lui éclaterait les dents.

- On rentre, somma-t-il sans ménagement.

 

*

Weevil sortit les mains de ses poches lorsque le hall d'entrée de la villa s'emplit de lumière. Quelques secondes plus tard lui parvint le bruit étouffé d'un tapotement mécanique sur un clavier.

- J'espère que vous avez un mandat, sergent Garcia... l'apostropha Logan, torse nu, à la porte.

Que répondre ? Il avait déjà obtenu ce qu'il voulait. Ça avait été facile. Presque trop. Il lui tardait seulement que le soleil pointe son nez à l'horizon désormais.

Echolls devait croire que sa musculature de nabot l'avait impressionné car son visage se fendit en un large sourire narquois.

- Ne me dis pas que Wee-Wee a subitement eu envie de réveiller le Beau au Bois Dormant ? Je ne suis pas adepte du mélange des genres. Tiens, ce sera ma citation du jour : « Chacun et chaque chose à sa place ! On y vient toujours. »

Le sourire du 09er se mua en une grimace, de manière aussi inopinée qu'inattendue. A quoi songeait-il ? Encore un mystère, mais celui-là importait peu. Seule Veronica comptait... Il fallait qu'il sache. Autant profiter de l'opportunité qui s'offrait à lui pour jauger les réactions de son adversaire.

- Je suis seulement venu t'informer que Veronica est bien rentrée chez elle, annonça-t-il aussi posément qu'il le put, reportant toute sa colère dans ses poings contractés.

L'effet escompté ne se fit pas attendre : la grimace tourna court, et les traits du fils à papa s'affaissèrent sous le choc. Il se recomposa aussitôt une prestance et adopta une attitude désinvolte.

- Elle... Elle va bien ? demanda-t-il d'une voix néanmoins étranglée.

Weevil fronça les sourcils : depuis quand Echolls s'intéressait-il au sort de son bouc émissaire préféré ? Et qui plus est, pourquoi cet air de chien perdu alors qu'il savait forcément la raison pour laquelle elle s'était enfuie de chez lui ?

Il se contenta d'opiner du chef.

- Alors comme ça, c'est toi qu'elle a appelé... reprit Logan, laissant son regard se perdre dans la pénombre environnante.

Bon sang, mais qu'est-ce que c'était que ce foutoir ? Il avait l'air complètement à côté de ses pompes - enfin façon de parler puisqu'il était pieds nus - et il faisait preuve d'une telle... Quel était le mot ? Honnêteté. Oui c'était bien ça, mais il avait l'air aussi ... désarçonné. Et peiné. Qu'est-ce que...

L'idée jaillit, lui coupant le souffle. Et si la petite blonde ne s'était pas rendue chez Echolls pour régler ses comptes ? Et si elle s'y était rendue sur invitation ? Est-ce que ce crétin pouvait avoir des sentiments pour elle ? Après tout, ils avaient paru se rapprocher durant l'enquête sur la mort de Lynn. Peut-être que ses sentiments à lui avaient évolué. Qu'avait-elle dit, déjà, sur la plage ?

« J'ai été ... surprise, c'est tout. »

Est-ce que ce connard avait pris ses désirs pour la réalité et tenté d'abuser d'elle?

A cet instant, la colère laissa place à une véritable rage. Il se força à garder l'esprit clair : rester concentré sur le plan, trouver la preuve avant de lui régler son compte...

L'effort fut presque surhumain : ne pas broncher, faire volte-face, enfourcher sa bécane... Il avait réussi, le moteur ronronnait déjà, il ne lui restait plus qu'à filer avant l'explosion. C'est au moment où il crut la partie gagnée que les mots sortirent tous seuls de sa bouche :

- Si tu t'avises de l'approcher encore une fois, c'est ton corps qu'on retrouvera dans le fleuve...

 

*

Elle dévalait les marches de l'escalier quatre à quatre, absorbée par la fouille de son sac. Elle était en retard, et la recherche de ses clés n'allait pas arranger les choses. L'espace d'un instant, il pensa qu'il pourrait lui proposer de l'accompagner au bahut en invoquant la rapidité de sa moto.

- Weevil ?

Mauvaise idée.

Un trousseau de clés à la main, elle s'était immobilisée à quelques pas de lui. Elle avait l'air fatiguée, ses légers cernes faisant ressortir les nuances bleu sombre de ses prunelles.

Décrochant son regard du sien, il se contraignit à revenir à lui. Il lui fallait des réponses, ou tout du moins un indice, afin que la prochaine partie du plan ne se solde pas par un fiasco. Cette fois-ci, il avait préparé son coup, analysé les différentes approches qui lui permettraient de trouver la faille. Ce serait moins facile qu'avec Echolls : elle était plus maligne. Mais l'expérience de la veille lui avait appris une chose : à la guerre, rien ne vaut l'offensive.

- Je suis passé voir Echolls hier.

- Tu as quoi?

Un mélange d'incrédulité et de ressentiment se peignit sur son visage.

- Je t'ai dit de ne pas t'en mêler Weevil.

- Et je t'ai dit que c'était trop tard.

- Qu'est-ce que tu lui as fait ?

Son expression avait changé. Elle avait l'air inquiète maintenant. Quoi de plus normal ? L'idiot du village faisait de sa vie un enfer depuis plus d'un an, jusqu'à l'apocalypse de la veille. Elle ne voulait pas avoir d'autres problèmes à cause de lui, c'était légitime.

- Oh tu sais... On a bu un verre dans le jardin tout en taillant une bavette. La routine quoi !

- Mais bien sûr !

Elle avait mordu à l'hameçon. Au jeu du cluedo, il pouvait d'ores et déjà éliminer le jardin.

- Mais si je te jure ! Ensuite il m'a préparé un sandwich et on l'a dégusté dans sa chambre...

- En regardant un DVD j'imagine? Laisse-moi deviner... Le secret de Brokeback mountain ?

Toujours rien.

- Exactement, mais j'ai préféré limiter les risques lorsqu'il m'a demandé de l'accrocher au lit avec un lasso. Du coup, on s'est fait un poker. Dans le pool house...

Lorsque les plis de sa bouche s'affaissèrent, il sut qu'il l'avait ferrée. Mais le sentiment de victoire s'estompa aussitôt. Ce voile qui avait recouvert ses yeux, cette tristesse... Il l'avait blessée. En allant débusquer ce souvenir, il avait ravivé la blessure.

Crétin...

- Ecoute Weevil, reprit-elle un instant plus tard, son masque d'indifférence et de force parfaitement réajusté sur son visage, je suis en retard. Et comme apparemment tu n'as pas la moindre intention de me dire ce qui s'est passé, ni la raison de ta venue, je te serais extrêmement reconnaissante de bien vouloir lever tes petites fesses du capot de ma voiture.

- J'ai toujours su que tu lorgnais mon popotin du coin de l'œil...

La fille poussa un soupir et changea de sujet :

- C'est ça Roméo... Justement M. Daniels nous attend de pied ferme avec son examen. On fait la course ?

- Shakespeare attendra, j'ai à faire, dit-il en se levant.

Elle le toisa un instant, clairement déchirée entre sa conscience de bonne élève et son insatiable curiosité de détective. Jetant un coup d'œil à sa montre, elle poussa un soupir et monta en voiture.

Alors qu'il regardait la LeBaron s'éloigner en pétaradant, son portable se mit à sonner. C'était Felix, pour la quatrième fois en moins d'une heure. Qu'est-ce qu'il pouvait avoir de si pressé à raconter ? Il éteignit son téléphone : il n'y avait rien de plus urgent à régler que ce qu'il allait faire, là maintenant.

*

 

- Un jeu d'enfant... murmura-t-il en entrant dans le pool house. 

Tout s'était déroulé comme prévu : dans un premier temps, il s'était rendu chez Echolls qui lui avait ouvert la porte, exhibant au passage ses ridicules pectoraux. Lorsque le 09er avait désactivé l'alarme, le motard avait pris soin d'enregistrer le code à l'aide d'un magnétophone soigneusement dissimulé dans sa poche. Direction la villa de sa grand-mère, où il avait dérobé un vieux jeu de clés que la vieille dame conservait en souvenir du temps où elle était femme de ménage chez le couple d'acteurs. Enfin, il avait piégé Veronica pour savoir exactement où le méfait avait eu lieu. Grâce aux indications involontaires de la blondinette et à sa mémoire des lieux datant de la soirée où il avait joué au poker avec les 09ers, il s'était retrouvé sans encombre dans le pool house.

Pour y trouver quoi exactement ? Il n'en avait pas la moindre idée... Mais, puisque le meurtrier et le lieu du crime semblaient sans importance, peut-être que l'arme l'aiguillerait sur la bonne piste. Mais il fallait faire vite, un employé pouvant débarquer à tout instant. Etre rapide et efficace.

Quoique l'option de la mise à sac de la pièce fût plus que tentante, il se borna donc à rester immobile, cherchant des yeux un détail, un objet quelconque, une trace...

Le centre de la pièce était consacré au lit, immense, recouvert d'une parure rouge et gris argenté. Les draps étaient froissés, on avait dû s'y allonger récemment.

Le brasier qui couvait dans son abdomen renaquit de ses cendres et il s'obligea à détourner la tête.

Le lit était entouré de deux lampes identiques, reliées par une commode en ébène. Un bouddha y trônait, le dévisageant d'un air moqueur. Derrière la statuette s'étendait un vaste meuble, couvrant l'ensemble du mur. Un bar, à en juger par les verres à cocktails qui entouraient le placard central.

Ce n'était plus des flammes, mais un incendie qui le ravageait désormais.

Incapable de rester en place une seconde de plus, il s'approcha et vit une clé brisée dans la serrure.

C'était donc ça... Ce pervers l'avait attirée dans le pool house pour la faire boire et abuser d'elle. Etait-il parvenu à ses fins ? Sa mâchoire se carra et ses tempes devinrent douloureuses sous l'effet du sang qui affluait précipitamment dans son cerveau.

Relevant la tête en direction du ventilateur de plafond, il plissa les yeux.

Qu'est-ce que...

Une bande blanche partait des hélices et longeait le plafond, puis le mur, jusqu'à une étagère garnie de quelques objets exotiques. Arrivé au niveau du meuble, il ne lui fallut qu'une poignée de secondes pour le faire coulisser et découvrir l'innommable : deux télévisions retransmettaient, par intermittence, les images captées par quatre caméras dissimulées dans la pièce.

Un mélange de stupeur et de dégoût se greffa à la colère, lancinante, qui le poignardait de toutes parts. L'horreur parvenait à son comble. Il n'y avait plus de mots... Les poings seuls pourraient dire ses quatre vérités à Echolls désormais. Ils le démangeaient déjà, prêts à cogner la première masse de chair qui se présenterait à eux. Il allait payer. Oh que oui il allait payer...

Choisissant le plan le plus large de la pièce, il rembobina la cassette jusqu'à minuit, l'heure présumée du crime. Il appuya sur le bouton play et fit défiler la bande jusqu'à ce que l'inconcevable apparaisse.

Elle souriait. Elle souriait comme il ne l'avait jamais vue sourire. Elle semblait tellement ... heureuse. Logan l'attirait sur le lit et elle se laissait faire de bonne grâce, prenant l'initiative de grimper sur lui, l'aidant à retirer sa veste, le plaquant sur le lit pour mieux attirer sa bouche contre la sienne. C'était même lui qui freinait le jeu à présent, pudique, cherchant clairement à contrôler ses ardeurs, apeuré à l'idée d'aller trop loin, de la blesser, de la perdre..

Incapable de se concentrer une seconde de plus sur l'écran, il se laissa choir sur le sol à mesure qu'il tombait dans le vide qui s'était créé en lui.

Elle l'aimait.

Elle l'aimait, aucun doute n'était permis. Tout en elle trahissait son amour : son regard, sa posture... Mais, plus que tout, son abandon. Elle ne se cachait pas, elle s'offrait.

Elle l'aimait.

C'était sans doute pour cela que Felix la commère essayait de le contacter depuis l'aube : pour partager la plus folle rumeur qui se fût abattue sur Neptune High depuis le meurtre de Lilly Kane.

Lilly...

Il avait eu Lilly, et maintenant il l'avait, elle. Bon sang, mais qu'est-ce qui les attirait toutes chez ce mec ? Qui plus est, elle avait bien vu ce qu'il avait fait à sa meilleure amie ! Comment avait-elle pu être assez bête pour tomber à son tour dans le panneau ? Il était en train de la filmer, de la piéger !

Il jouait la comédie. Oui, c'était forcément ça. Il l'avait séduite pour mieux lui porter le coup fatal : il avait prévu d'exposer la vidéo au vu et au su de tous. Il voulait apporter la preuve que la garce était de retour. Mais qu'elle ouvre les yeux !

Il leva la tête vers la télévision juste à temps pour la voir découvrir la supercherie, son visage passant de la surprise à l'horreur, et s'enfuir. La suite, il la connaissait.

Il se redressa, mû par l'instinct : il devait fuir. Fuir cet endroit maudit, fuir ces draps encore plein de leurs effluves mêlés.

Il avait déjà le doigt sur la touche « Stop » lorsqu'il vit un visage inconnu et pourtant familier sur l'écran : Aaron Echolls, l'acteur des films d'action de son enfance. Ce dernier entrait précipitamment dans la pièce, cherchant quelque chose, ou quelqu'un, des yeux. Lorsque son regard se posa sur l'armoire, laissée ouverte par Veronica durant sa fuite, son visage se décomposa. Il se précipita sur le placard et en fit coulisser la porte au moment où son fils entrait dans la pièce, deux verres à la main.

Cette scène avait quelque chose de singulier. Il n'aurait pas su dire quoi exactement, mais il le sentait : un détail lui avait échappé, quelque chose se tramait... Le motard augmenta le volume, surprenant l'acteur quadragénaire en rage :

- ... de fois devrais-je te dire que cette pièce t'est interdite ? Ici, c'est mon espace ! Est-ce que j'allais dans ta chambre moi, pour baiser ta mère ?

Mais le fils ne l'écoutait pas, hurlant par-dessus le ténor assourdissant de l'acteur :

- Où elle est ? Tu l'as foutue dehors ou...

- Je ne l'ai pas vue, ta pouliche ! Elle avait déjà ramassé sa petite culotte et fui au galop avant que je...

Il n'eut pas le temps de terminer sa phrase : Logan s'était précipité sur lui au moment où les verres se fracassaient sur le sol.

Cela lui fit du bien de voir Echolls Jr ratatiner la tronche de son héros de jadis. Même si lui-même aurait fait mieux : ce coup de pied dans la cuisse par exemple, il l'aurait sûrement évité... Et cette droite, il l'aurait plutôt mise dans son abdomen plutôt que sur son nez : ça coupait le souffle et ça donnait un peu de temps avant que l'adversaire ne revienne à lui ... lorsqu'il revenait.

Tout à coup, ses sourcils se froncèrent : mais alors...

Arrêtant la vidéo et pivotant lentement sur lui-même, il balaya les lieux du regard. Cette pièce... C'était l'antre du père, pas celle du fils. Et étant donnée sa précipitation à dissimuler le système de vidéosurveillance, Jr ne devait pas être au courant des tendances voyeuristes de son paternel.

La sentence tomba, implacable : non coupable.

Logan n'avait pas voulu piéger Veronica, contrairement à ce qu'elle croyait. Dans cette histoire, il n'y avait finalement ni sexe ni mensonge. Il n'y avait qu'une vidéo. Ce n'était rien de plus qu'un ... quiproquo. Oui, une vulgaire confusion dans la perception des êtres, des intentions et des sentiments. Mais les sentiments étaient bien là, des deux côtés.

Des deux côtés...

Son sourire...

Elle avait l'air tellement heureuse.

Sans réfléchir, il éjecta la cassette du magnétoscope et la fourra dans la poche de son jean.

*

 

- Salut !

- Oh... Alors j'existe ! C'est pour ça que je me sentais différent ce matin... 

Détournant les yeux du tableau noir, Weevil prêta inconsciemment une oreille aux deux voix noyées dans le bruit lointain de la fanfare du lycée.

- Je t'évite depuis un moment... admit une voix qu'il reconnut comme étant celle de Veronica.

- Ah bon ? Vraiment ? J'avais pas remarqué... lui répondit son petit-ami.

Petit-ami... Son sang ne fit qu'un tour : il se leva et se tapit derrière la porte de la salle de cours. Pourquoi ? Il ne se connaissait pourtant pas de tendances masochistes. Alors pourquoi s'infliger la peine d'assister aux retrouvailles du couple le plus improbable du lycée ?

- Je suis désolée, j'ai paniqué, reprit la voix féminine. Toi et moi, l'autre soir, dans la chambre d'amis... On s'apprêtait à franchir une limite et... Je sais pas, tout à coup je me suis vraiment sentie bizarre et coupable, et j'ai pensé à Duncan et à Lilly, et comme entrée en matière pour cette ... « soirée », c'était pas ce qu'on pouvait rêver de mieux.

Il n'en entendit pas plus. Sa façon d'hésiter sur le mot « soirée »... C'en était trop.

Il se revit, vingt-quatre heures plus tôt, détalant de la villa des Echolls sur sa moto. Les souvenirs étaient si distincts qu'il eut l'impression de revivre l'instant.

 

Le vent effleurait son visage, et il pria vaguement pour qu'il emporte les images empoisonnées dans son sillage. Celles de la vidéo tout d'abord : elle souriante, lui protecteur... Et puis celles enregistrées par ses propres yeux, dont le sens invisible apparaissait désormais : Logan abasourdi et peiné sur le seuil de sa porte... Sa réaction à la phrase « Chacun et chaque chose à sa place ! On y vient toujours » lorsqu'il avait fait mentalement le parallèle avec sa propre histoire avec Veronica. Veronica, qui l'avait planté là, sans l'ombre d'une explication... Veronica blessée sur la plage, et qui plus tard ne s'était pas inquiétée de son propre sort en apprenant la rencontre entre le motard et le 09er. Non, son angoisse était destinée à l'Autre...

L'aiguille affichait 207 km/h désormais. Oui, les pièces du puzzle s'imbriquaient, si étroitement, si parfaitement, qu'il se sentit idiot de ne pas avoir compris plus tôt. Il se sentit trahi aussi. Elle n'avait pas le droit... Pas avec lui, son ennemi juré. Celui qui avait retenu Lilly deux ans plus tôt...

Il secoua la tête, dégoûté une fois de plus par sa bêtise : il se leurrait, encore. Comme si Lilly Kane aurait affiché leur relation au grand jour, avec ou sans Logan ! Depuis longtemps, depuis toujours en fait, il avait su qu'elle se servait de lui. Tout comme Veronica se servait de lui.

Sa mâchoire se carra. Non, il était injuste... Veronica, contrairement à son ancienne meilleure amie, avait toujours été là, l'épaulant à chaque fois qu'il avait eu besoin de son aide cette année. Elle n'avait pas joué avec lui. Elle n'était pas Lilly.

Il lâcha un instant le guidon, tâtant la poche de son jean. Maintenant, c'était lui qui avait en main la preuve qui pourrait effacer ses souffrances. Il lui suffisait de lui donner la cassette. Elle comprendrait aussitôt. Elle irait voir Logan, s'expliquerait. Il lui pardonnerait, bien évidemment. Et elle retrouverait son sourire, celui de la vidéo...

 

Revenant aux temps présents, à l'ombre de la porte, il eut un sourire amer : apparemment, il n'aurait pas besoin de lui donner cette preuve. Elle avait décidé de passer outre la trahison de Logan et d'aller lui parler. Néanmoins, pourrait-elle retrouver la confiance absolue qu'elle avait en lui cette nuit-là, sans aucune preuve de sa bonne foi ? Avec un soupir aussi résigné que douloureux, le motard sortit la bande de sa poche.

Mais...

Un souvenir lui revint en mémoire : elle avait menti à Logan sur la véritable raison de son départ précipité. Elle n'avait pas parlé de la vidéo. Et, connaissant l'énergumène, il était impossible qu'elle tourne la page sans explication ... ni revanche. Il tendit l'oreille. La voix de Logan avait disparu.

- ... Il essaie de faire porter le chapeau à Duncan. Des nouvelles de Tijuana?

Un silence lui apprit qu'elle était au téléphone. Pourquoi parlait-elle de Tijuana ? Une affaire peut-être... Ah, elle devait parler à son père.

- Ca lui laissait tout le temps pour rentrer à Neptune et la tuer.

La tuer ?

L'évidence l'assomma : elle parlait de Lilly.

Echolls avait tué Lilly.

Il n'avait jamais très bien compris ce qu'on appelait « colère blanche ». Lorsqu'il était énervé, ses poings prenaient systématiquement le dessus, les retenir était tout bonnement inconcevable.

Mais là... Il n'était pas en colère. Il était colère. Le sentiment s'était emparé de lui, jusqu'aux tréfonds de son être, le définissant dans sa totalité. Une telle rage ne pouvait éclater : elle était tout.

Il sentit une nouvelle résolution naître en lui, encore plus évidente que celle qui s'était emparé de son être sur la plage. Se pouvait-il que ce fût seulement deux jours plus tôt ?

Il devait payer. Lui casser les dents ne serait pas suffisant. Il allait mourir. Il allait le tuer de ses propres mains, il ne laisserait aucun de ses sbires s'en occuper. Lui seul serait capable de le torturer tant et si bien que, à la fin, il finirait par le supplier de l'achever. Mais il ne le ferait pas. Enfin pas avant longtemps. Il mourrait de souffrance, il mourrait d'horreur. Plus jamais ce bâtard ne ferait de mal à qui que ce soit. Non, il ne le permettrait pas.

Glissant la bande vidéo dans la poche intérieure de son blouson, il sortit de la pénombre au moment où Veronica raccrochait. Elle détourna la tête en sa direction, son visage se décomposant aussitôt.

- Ne te méprends pas sur ce que je viens de dire, souffla-t-elle, une once de terreur dans la voix.

Il retint un rugissement, la haïssant presque autant qu'Echolls en cet instant. Alors c'était à ce point-là ? Même en pensant qu'il l'avait piégée, qu'il avait massacré Lilly, elle continuait à le défendre ?

- Tu as l'air de dire que c'est Logan qui a tué Lilly...

Il fut étonné par le son de sa voix : calme, neutre, détachée.

 La colère froide, sans nul doute...

- Ces fils à papa imaginent qu'ils peuvent tout faire sans être arrêtés... constata-t-il.

Ou tout du moins, c'est ce qu'ils croyaient.

Sans ciller, il glissa sans bruit dans le couloir. Il était temps. Et rien, pas même les yeux inquiets de Veronica qui lui vrillaient le dos, ne le détournerait de son destin.

Ecrit par lili59